La politique du plaisir (1/3)


Article

Par Rebecca Amsellem

“When we talk about an object of desire, we are really talking about a cluster of promises we want someone or something to make to us and make possible for us.”* Lauren Berlant

J’ai écrit ce texte il y a quelques années, comme une commande pour un sex toy créé pour les personnes ayant un clitoris. J’ai lu ce texte, scindé en trois partie ici, dans un sex shop. C’était la première fois que j’entrais dans un sex shop. 

Je suis hyper gênée. Extrêmement gênée. Je parle à un événement pour la sortie d’un appareil qui pour but – noble – d’aider des personnes à accéder au plaisir. Alors que je n’en ai jamais moi-même utilisé. J’ai complètement honte. Mais je peux vous parler d’un truc dont j’ai usé et abusé : les livres.

La première fois que j’ai entendu parler de plaisir féminin, c’était là-dedans, les journaux d’Anais Nin. Comme souvent jusqu’à présent, j’ai découvert la vie dans les livres. Et il en fut donc de même avec le plaisir féminin. 

Dans ses journaux, Anais Nin parle de livres qu’elle a écrit, les eroticas. Elle en parle ainsi : « Dans les éroticas, j’ai écrit avant tout pour divertir, poussée par un client qui désirait que je « laisse de côté la poésie ». » « Les eroticas » était une commande. « Je croyais que mon style était plus ou moins emprunté aux ouvrages écrits par des hommes sur ce sujet. Pour cette raison, j’ai longtemps cru que j’avais compromis ma véritable féminité dans ces textes. Et je les ai mis de côté. En les relisant, bien des années plus tard, je m’aperçois que ma propre voix n’a pas été complètement étouffée. Dans de nombreux passages, de façon intuitive, j’ai utilisé le langage d’une femme, décrivant les rapports sexuels comme les vit une femme. J’ai finalement décidé de publier ces textes érotiques, parce qu’ils représentent les premiers efforts d’une femme pour parler d’un domaine qui avait été jusqu’alors réservé aux hommes. »

Henry Miller disait de Anais Nin « Elle écrit comme un homme – mais non, si elle écrit comme quelqu’un, c’est comme une femme cent pour cent femme… Sur bien des points, elle est plus directe, plus franche que bien des auteurs masculins. Car voici une femme libérée, qui dit son besoin de l’homme, qui avoue être obsédée par le sexe et l’amour, sujet sur lequel on n’entend pas assez le son de cloche féminin. »

Car le plaisir masculin, lui, est légitimé en soi dans un société qui le place même sur un piédestal. A titre d’exemple, saviez-vous ainsi qu’aux Etats-Unis, le Viagra est remboursé dans nombre d’Etats alors que l’avortement et les contraceptifs féminins ne le sont pas ? Le message pourrait être : le plaisir masculin est bien plus important que la santé des femmes.

Et pourtant. 49% des Françaises admettent avoir « assez régulièrement » des difficultés à atteindre l’orgasme (enquête IFOP 2015). Aussi, si l’érection masculine fait l’objet de nombreuses études, l’orgasme féminin ne serait pas suffisamment digne d’intérêt pour être financé. 

* »Lorsque l’on parle d’un objet de désir, on parle d’un ensemble de promesses que l’on veut voir faites et rendues possibles par quelqu’un ou quelque chose.« 

Rebecca Amsellem a fondé en 2015 la newsletter féministe Les Glorieuses. En juillet 2019, elle est intervenue aux Napoleons sur le thème de la Transmission. En amont de notre Sommet sur les Plaisirs, Rebecca nous a aimablement proposé ce texte en 3 parties sur le plaisir féminin. A suivre donc !